Interview de Michel Hazanavicius à San Francisco pour la sortie de son film Godard Mon Amour
Le San Francisco International Film Festival battait son plein. Les 14 et 15 avril, le film Godard Mon Amour (Le Redoutable) était présenté à San Francisco et Berkeley en présence de son réalisateur, Michel Hazanavicius. Nous avons eu la chance de pouvoir l'interviewer. Récit de notre rencontre...
Un samedi matin au soleil de San Francisco, nous nous rendons dans SOMA pour rencontrer Michel Hazanavicius. Nous avons parlé Anne Wiazemsky, Mai 68, The Artists forcément un peu, JR, Agnès Varda, OSS 117 (ah non, pas OSS 117 en fait), San Francisco, Stanford, Leïla Slimani... et Godard bien sûr.
Interview de Michel Hazanavicius par Nathalie Gobbi pour LostinSF
Photo by Sabrina Bot
Michel Hazanavicus est arrivé la veille. Il a eu le temps déjà de passer à Stanford pour une première présentation de Godard Mon Amour.
Godard Mon Amour (c'est le titre en Anglais...) ou encore Le Redoutable (titre en Français, nuance) est inspiré du livre de Anne Wiazemsky, ''Un An Après''. Comment avez-vous découvert ce livre ? Comment l'idée du film a-t-elle germé ?
Ce fut un hasard, sans aucune idée préconçue. J'ai acheté le livre avant de prendre un train, l'ai lu en chemin, à mon arrivée, j'étais sûr de vouloir en faire un film. Tout m'inspirait : les personnages, le contexte, mai 68, la cinématographie le cadre, la Nouvelle Vague, les thèmes, la tragédie et la comédie concomitantes... C'était une idée ''pleine'' du fait de la multitude de ses facettes.
Anne Wiazemsky est décédée à l'automne 2017. L'avez-vous rencontrée pour partager votre projet ?
Oui, naturellement. Je l'ai rencontrée pour qu'elle nous accorde les droits de son oeuvre. Il fallait la convaincre car elle avait toujours été réfractaire à l'idée d'une adaptation de cette oeuvre. La peur sans doute du ''Diktat Culturel'' que cela impliquait. Or, elle a aimé l'aspect comédie que je souhaitais imprimer au film.
Au fil de vos interviews, vous mentionnez les aspects sombres, parfois dérangeants du personnage de Godard. Vous dites même : ''Godard n'a jamais cherché à être sympathique''. Dans ce contexte, qu'est-ce qui vous a donné envie justement de le rendre presque sympathique aux yeux des spectateurs ?
En réalité, le film ne le rend pas particulièrement sympathique, au contraire. Jean-Luc Godard pouvait être odieux, voire destructeur, avec des attitudes et des réflexes très bourgeois et très conservateurs, notamment dans sa relation aux femmes.
Avec ce film, en revanche, je le rends humain, réel, accessible car pour beaucoup, Godard est presque un concept théorique, pour certains, presque un demi dieu. Et pour créer cette empathie, j'ai vraiment mis en avant cette quête de vérité que fut sa vie, une quête sans concession. J'ai aussi révélé si c'était nécessaire à quel point Godard est plein de conflits.
Effectivement, quand on repense à la scène du film Visages, Villages où Jean-Luc Godard pose un sacré lapin à Agnès Varda, on se dit qu'il sait se rendre antipathique. Et pourtant Agnès Varda lui pardonne.
J'ai adoré ce film et ai beaucoup de respect pour Agnès. Ce qui est certain, c'est qu'il a de fait co-écrit l'une des meilleures séquences du film. En n'ouvrant pas la porte, En faisant, une fois de plus ce que l'on n'attend pas de lui, il crée une situation de cinéma très forte.
Avec Godard Mon Amour, considérez-vous offrir un film de cinéma populaire dont vous êtes adepte ?
Tout dépend naturellement ce que l'on entend par cinéma populaire. En tous les cas, il a été pensé comme cela. C'est un film très accessible, que tout le monde peut aimer, et ce malgré le fait que ce film ait pris pour sujet une personnalité très élitiste.
Si un film populaire, c'est un film qui a pour ambition de s'adresser à tout le monde, dans ce cas-là, oui, c'est ainsi que j'ai pensé ce film.
D'ailleurs, je disais la même chose au sujet de The Artist. Sur le papier, un film muet, en noir et blanc... cela ne cadrait pas avec ce que l'on imagine d'un film populaire. Et pourtant il l'est devenu.
Pour Le Redoutable, j'y ai mis le même travail, eu la même approche et la même aspiration. Je ne fais pas du cinéma d'auteur, je fais du cinéma pour les gens, en essayant en premier lieu de faire en sorte que le film ne soit pas ennuyeux.
Jean-Luc Godard ne cesse de perdre ses lunettes et se retrouve désemparé. Anecdote réelle ?
Ce n'était pas spécialement connu, mais Anne Wyazemsky le mentionne peut-être deux fois dans son livre. Je lui ai dit que j'avais l'intention d'en faire un ''running gag'' dans le film. Elle a ri, car effectivement, dans la vraie vie, c'est arrivé tellement souvent.
J'aimais bien l'idée de dire que ''la révolution, c'est dur pour les myopes''. Mais au-delà de la blague récurrente qui participe à la comédie, j'aimais aussi la métaphore sur ce personnage qui veut absolument changer sa manière de voir le monde et passe son temps à casser ses lunettes.
Comment le film est-il reçu aux US ?
L'aspect comédie marche bien, plait beaucoup. Le cinéma français a tendance à être mis dans une case, celle du cinéma d'auteur. Donc ça fait une première surprise liée à l'aspect ludique du film. C'est un film léger, même s'il draine des thématiques relativement lourdes, qui reste complètement dans le champ de la comédie.
Et Mai 68 au coeur du film est un sujet qui parle au public, cette espèce d'énergie positive de gens quiont la volonté de changer le monde pour le meilleur avec les quelques moyens dont ils disposent. Ils incarnaient une société dont on avait envie de faire partie.
Photo by Sabrina Bot
Quid de votre travail avec Louis Garrel ? Auriez-vous quelques anecdotes de tournage ?
J'ai beaucoup aimé travaillé avec Louis. Il vient ''d'une autre famille du cinéma''. C'est a priori plus un acteur de cinéma d'auteur. C'était vraiment intéressant qu'il amène son charme, presque cérébral. J'ai aimé ce qu'il a apporté au personnage.
Je sais que pour lui il y avait comme une espèce de petit conflit intérieur, à jouer ce personnage qu'il adore, beaucoup plus que moi qui n'ai pas de vénération. ''Je ne fais pas partie de la secte'', lui, sans doute un peu plus. L'aspect peut-être un peu ridicule du Godard du film, lui plaisait mais avait un côté un peu plus transgressif que pour moi.
Je n'avais pas l'impression de faire une transgression culturelle énorme. J'avais tout simplement celle de m'amuser.
Avez-vous rencontré Jean-Luc Godard ? Et Louis Garrel ?
En vérité, non. Je l'ai tenu au courant. Je lui ai emvoyé une lettre à propos du film que je faisais. Mais de toute façon, ce n'est pas un film sur Jean-Luc Godard. Il ne s'agit aucunement d'une thèse sur Godard. C'est un personnage, j'ai joué avec luiet en quelque sorte, j'ai créé mon Godard.
Louis non plus ne l'a pas rencontré. Mais il y a beaucoup d'images de Godard, beaucoup de matériel disponible pour faire des recherches à son sujet. Cela dit, Louis Garrel n'a pas essayé de faire une imitation. Il était même attiré par l'idée de ne pas du tout l'imiter. On est parvenu à trouver un juste milieu et ainsi à échapper à la caricature, qui aurait manqué d'humanité.
On est dans l'évocation plus que dans l'imitation, ce qui permet d'être juste dans des scènes d'intimité comme dans celles où il prend la parole devant toute une assemblée.
GODARD MON AMOUR (LE REDOUTABLE)
Le dernier film de Michel Hazanavicius sort aux États-Unis
dès le 20 avril à New York notamment
le 27 avril à San Francisco et dans la Baie.
www.landmarktheatres.com/san-francisco/embarcadero-center-cinema/film-info/godard-mon-amour
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